J'aime les chevaux

Chers lecteurs, votre attention s’il vous plaît, j’ai un aveu à vous faire afin de soulager ma conscience. J’ai honte. Parce que j’aime les chevaux. Sans sel. Crus, comme ça, hâchés, à même le papier d’emballage du boucher. Je sais que c’est mal, je n’en suis pas fier, mais je n’y peux rien : depuis longtemps le cheval, c’est mon dada.

Dans les milieux autorisés, on dit que je suis hippophage. Hippophage. Ca sonne comme une perversion, presque comme une insulte. Eh ! Va donc, hippophage ! Pourtant mes proches disent de moi : « C’est pas le mauvais cheval ».

J’ai honte, mais je ne puis m’en passer. Le steak de cheval est la plus belle conquête de mon assiette.

« N’as-tu donc aucune sensibilité, Omar ? » essayait de me raisonner l’autre jour un ami médecin, grand chercheur en maladies neurologiques, qui passe ses journées à brancher des électrodes sur des petits cerveaux palpitants de singes et de chatons, après les avoir soigneusement trépanés.

« Tu d’vrais arrêter, franchement, c’est dégueulasse » tentait de me convaincre, hier encore,  mon beau-frère, qui n’est pas du genre à couper les chevaux en quatre. J’aurais bien voulu lui promettre d’essayer, du moins d’y penser, mais je n’en ai pas eu le temps : il était impatient de partir à la chasse, ayant promis à son épouse de la biche au dîner pour leurs cinq ans de mariage.

Une amie mannequin, Heather (prononcer « iseur », pour ceux qui ignorent tout de la langue de Shakespeare - prononcer « checspir »), m’a même suggéré de rejoindre les H.A. (Hippophages Anonymes) pour m’aider à arrêter. Iseur est belle, toujours bien mise, bien maquillée. Faut dire qu’elle ne met pas n’importe quoi comme maquillage : avant que son mascara n’allonge si harmonieusement ses cils, les cosmétologues ont dû en faire pourrir des paupières de lapin ! Enfin, Iseur le vaut bien.

Dimanche, j’ai rencontré mon boulanger à l’église. Il sait que j’achète du cheval, ça parle entre commerçants. Très à cheval sur les principes du curé de notre paroisse, il m’a fait remarquer après le sermon : « Vous savez, je dis ça comme ça, mais les chevaux sont aussi des créatures du bon Dieu ». Son épouse, chaudement emmitouflée dans sa fourrure de renard des neiges appuya la remarque de son mari en opinant du chef.

Mais tout le monde a beau monter sur ses grands chevaux pour me faire des remontrances, c’est plus fort que moi. Il me faudrait un remède de cheval, mais il n’en existe pas. Le fait même que la viande de cheval provient d’équidés importés vivants des pays de l’Est dans des conditions de transport dits « déplorables » par les âmes sensibles ne calme pas ma faim. Oui, on leur casse les jambes à coup de maillet afin de mieux les entasser dans les wagons et les camions… et alors ? Quand je me suis cassé la jambe au ski l’hiver dernier, les amoureux des bêtes s’en sont-ils émus ?

Alors, aujourd’hui  encore, je me suis rendu à la boucherie chevaline. Avez-vous remarqué que celles-ci sont de moins en moins nombreuses ? J’appréhende le jour où il n’y en aura plus une seule et où je devrai acheter ma viande de cheval chez un boucher bovin (l’adjectif se rapporte ici à la viande vendue par ledit commerçant), qui aura la bonté de réserver dans sa chambre frigorifique un rayon chevalin pour les détraqués comme moi. Dès lors, il me sera impossible de me cacher : il me faudra commander ma bidoche préférée devant les regards réprobateurs des clientes mangeuses de petits veaux.

Ce matin, donc, malgré une très forte fièvre (non, je ne vais pas me laisser aller à un calembour facile et calamiteux, ce n’est pas mon genre), je me suis rendu à la boucherie chevaline où j’ai mes habitudes et dont le propriétaire est un ancien vétérinaire spécialisé en hippiatrie, reconverti en boucher après qu’un cheval alezan lui a fait un procès pour erreur médicale. En passant, j’en ai profité pour aller au bureau de tabac, pour faire un tiercé. Bah, oui, je sais qu’il ne faut pas jouer avec la nourriture. J’ai honte. J’ai honte ! 


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