Ma maison paradoxale

Vendredi 31 décembre 2010

 

Depuis bien longtemps, beaucoup de mes rêves nocturnes se déroulent dans une maison idéale. « Idéale » parce que je m’y sens vraiment chez moi, en sécurité. Le sommeil paradoxal exagère ces sentiments de propriété et d’invulnérabilité que je n’ai encore jamais ressenti aussi profondément éveillé. Elle n’a cessé d’évoluer, de se transformer depuis la première fois que je l’ai rêvée, étant enfant : des chambres, des escaliers, des couloirs et des étages se sont ajoutés, ainsi que des occupants plus ou moins identifiés. Pourtant, dès que je m’y retrouve, je la reconnais infailliblement. Je ne sais pas si un architecte pourrait en tracer les plans, si l’agencement des pièces forme un tout cohérent, si l’intérieur n’est pas plus vaste que ce que pourrait contenir l’aspect extérieur que je ne visualise que rarement. Je ne peux en faire qu’une peinture impressionniste, par touches descriptives sans transition possible entre elles.

Il y a un escalier en colimaçon, très étroit, qui relie le rez-de-chaussée aux deux étages. Au premier étage, à gauche en montant l’escalier, une petite salle de bains, généralement occupée par un garçon de quinze ou seize ans, peut-être bien un camarade de lycée dont j’ai depuis bien longtemps oublié le nom. Je suis tenté d’y rentrer, mais j’y renonce chaque fois.

Au deuxième étage, une chambre grande comme un salon, sombre, feutrée, un gigantesque tapis d’orient recouvre un parquet grinçant. J’y dors parfois, seul, dans un lit immense.

Au rez-de-chaussée, il y a une petite cuisine avec deux portes dont une donne sur le salon où le soleil entre par des vitraux incolores, et l’autre sur une véranda de verre et de bois blanc.

Le sous-sol est très grand, tout en longueur, pas du tout aménagé, des cartons s’y entassent sur le sol en ciment, la peinture s’y écaille. Je lui trouve pourtant du potentiel, et j’ai envie d’y créer de nouvelles chambres.

Au fond d’un étroit dressing (à quel étage ?), il y a une porte qui donne dans un labyrinthe de longs couloirs blancs ponctués de portes qui s’ouvrent sur des chambres toutes différentes, des chambres à thèmes avec des installations extravagantes, comme cette chambre jardin japonais qui comprend des érables et un bassin de carpes koi. Parfois je loge des gens de ma famille dans l’une d’entre elles. Dans d’autres, je fais l’amour avec mon homme ou bien je prends du bon temps soit avec des inconnus, soit avec d’autres mecs que je connais mais qui appartiennent au passé.

Tout au bout du couloir principal, il y a une grande chambre circulaire dont les murs et le plafond ont été remplacés par des baies vitrées. Cette chambre, en altitude et en périphérie de la maison, domine une grande métropole futuriste, toujours plongée dans la nuit, mouchetée d’un nombre infini de petites lumières de toutes les couleurs. C’est un spectacle magnifique qui a sur moi un effet apaisant et hypnotique. Personne n’a le droit d’entrer dans cette chambre. Personne, hormis parfois un amant avec qui je m’abandonne à une débauche de sexe sans tabou : nous sommes transportés par le spectacle de cette ville lointaine et par l’idée qu’au cœur de cette immensité des garçons et des hommes, à l’aide de jumelles et de télescopes, observent nos ébats. Il m’arrive aussi de m’allonger seul, tout nu, sur ce grand lit rond, et de me masturber, excité par cette sensation d’être dévoré des yeux par des inconnus.


Parce que jamais les aléas de la vie ne pourront m’enlever cette maison, je n’ai qu’un souhait au cours de cette phase du sommeil où l’on n’est plus vraiment là mais où on entend encore les bruits qui nous entourent et où les idées s’associent de façon surréaliste, un seul souhait : y retourner.

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